Après le succès obtenu au théâtre 13e art d’avril a juillet, La Chienne des Baskerville se joue sur la scène des Enfants du Paradis à Paris depuis le 22 septembre. Une comédie policière haute en couleurs à ne pas rater ! Attention spoiler : à ne lire qu’après avoir vu la pièce !

Depuis quelques années, on dit qu’il se jouerait toutes les semaines au moins une pièce de théâtre « Sherlock Holmes » à Paris. Une chose est sûre : ces temps-ci la scène parisienne n’est pas avare d’adaptations holmésiennes en tous genres, qu’elles soient inspirées de L’Escarboucle bleue, de L’Affaire du pont de Thor, du Chien des Baskerville, ou construites autour de nouvelles intrigues « non-canoniques ».
Adapter Le Chien des Baskerville sur scène : défi relevé !
Parmi ces représentations, La Chienne des Baskerville a fait parler d’elle un peu partout. « Serait-ce parce qu’il s’agit d’une adaptation du roman érotique éponyme de 2015 publié par La Musardine ? » demanderont, innocents, les holmésiens curieux. La réponse est : pas du tout ! Le succès de la pièce est entièrement dû à la bonne dose d’humour qui accompagne ici la résolution de la plus célèbre enquête de Sherlock Holmes.

Et de l’humour, il en faut lorsque l’on décide d’adapter Le Chien des Baskerville sur scène. En effet, une terrible malédiction veut que les adaptations théâtrales les plus fidèles à l’intrigue de ce roman s’avèrent souvent soporifiques. C’est le fameux « syndrome de Raymond Gérôme » (Au théâtre ce soir, 1974) : faute de chien des enfers phosphorescent et faute de lande marécageuse, l’intrigue du Chien des Baskerville ne se prête pas aisément aux représentations théâtrales si l’on n’y ajoute pas une petite dose de folie.
Cette dose de folie, les auteurs de La Chienne des Baskerville l’ont trouvée en se tournant vers la parodie burlesque. Rien d’étonnant à cela lorsque l’on sait que les mêmes metteurs en scène ont également travaillé sur Les Faux British et Le Gros Diamant du Prince Ludwig. Dès lors, tout est permis : le déroulement de l’intrigue et le caractère des personnages sont librement réinterprétés pour donner lieu à un enchaînement de scènes joyeusement délirantes.
Une pièce pour amateurs de cinéma
L’un des fils rouges de la pièce consiste notamment à mêler l’intrigue du Chien des Baskerville à toutes sortes de références cinématographiques, notamment issues du cinéma d’horreur. À commencer par Scream (1996), dont le meurtrier masqué fait de multiples apparitions sur scène – au point de développer momentanément un don d’ubiquité. La vedette lui est brièvement volée par le meurtrier de Massacre à la tronçonneuse (1974), qui tente de découper un spectateur du premier rang avant de disparaître aussi sec. Les cinéphiles ont également pu apprécier la référence à L’Exorciste (1973), séquence mobilisant tous les talents de contorsionniste de l’actrice de la pièce – sans aller jusqu’à faire un tour à 360° avec sa tête heureusement !

Dans un style plus léger, tout en restant dans le monde du cinéma, les acteurs interprètent l’une des chorégraphies de La La Land (2016), référence incontournable puisque l’enquête se déroule sur la la land de Dartmoor et que la pièce se joue sur la scène du 13ème Art, réputée pour ses spectacles de danse et ses comédies musicales (dont Sherlock Holmes, l’Aventure musicale en début d’année !). À noter également diverses allusions à La Cage aux Folles (1978) venant émailler la relation entre Watson et Mortimer, biscotte cassée incluse.
Un décor et une mise en scène remarquable
L’influence du cinéma et de la BD est également souligné par l’univers graphique singulier qui se déploie sur scène. Signés par l’auteur de bandes dessinées Winschluss, les décors, à mi chemin entre le cartoon et le steampunk, ajoutent à l’ambiance fantastique de la pièce. Les scènes d’extérieur, évoquées par un jeu d’ombres chinoises mises en mouvement par Philippe BEAU qui les manipule en direct complètent et enrichissent la mise en scène, qui flirte avec la notion de « cinéatre » qu’Olivier Mag, le co-adaptateur du texte (en compagnie d’Hugues Duquesne) développe dans l’interview qu’avec Gwen Aduh, il a accordée à la Gazette.

Joyeux délires en tous genres
Quitte à compléter la liste des références à la pop culture, on notera la présence d’une brève chorégraphie « ABBA » de Watson ou encore la présence du jingle de « Qui veut gagner des millions » lorsqu’un personnage affirme que ce sera son dernier mot. La pièce va jusqu’à inclure des références à certains spots publicitaires incontournables.

À ceci s’ajoutent toutes sortes de joyeux délires, comme cette séquence où Sir Henry décide de parler sans la lettre « i » pour déclarer sa flamme à Béryl, du fait que le prénom de celle-ci s’écrit avec un « y » et non un « i ». La jeune femme s’emploie dès lors à lui répondre avec la même contrainte, donnant lieu à un splendide charabia qui reste toutefois compréhensible en étant agrémenté de jeux de mots.
L’humour pipi-caca tient également une grande place dans la pièce, de quoi faire s’esclaffer le jeune public – le moins jeune aussi parfois. Ce n’est certes pas du Shakespeare, mais il en faut pour tous les goûts !
Pierre Bayard à l’honneur
Et l’enquête, dans tout cela, comment avance-t-elle ? Bien, car malgré toutes ces péripéties, Holmes et Watson progressent dans leurs investigations et Sir Henry échappe tant bien que mal au chien, ou plutôt au loup, puisque c’est ce mot qui le terrifie au point de le faire régulièrement tomber dans les pommes.

Mais alors que la filiation entre Stapleton et la famille Baskerville est découverte par Holmes – Stapleton étant trahi par la forme de ses oreilles – et que l’entomologiste doit s’avouer vaincu, les spectateurs assistent à un twist final : Holmes a fait fausse route ! Stapleton, aussi suspect soit-il, est innocent : c’est sa femme, Béryl, qui tirait les ficelles depuis le départ. D’où sa volonté de se faire passer pour la sœur de Stapleton et ainsi séduire Sir Henry, de manière à ce que celui-ci soit prêt à braver tous les dangers pour voir sa bien-aimée alors que le danger rôde sur la la land.
Les holmésiens applaudiront évidemment cette prise en compte de la théorie de Pierre Bayard sur l’identité du meurtrier. D’autant plus que l’enquête ne s’arrête pas là : un second twist final amène finalement Holmes à déduire qu’il se trouve dans une pièce de théâtre et que les personnages qui l’entourent ne sont qu’une flopée d’acteurs. Bravo, Holmes !
Beaucoup de talent et d’excentricité
Puisque tout ceci n’est donc qu’une pièce de théâtre, que dire de la mise en scène et des acteurs ? Tout d’abord, on notera que l’intrigue se déroule dans deux lieux principaux : le 221B Baker Street et le manoir des Baskerville. Lorsqu’un autre endroit est évoqué, comme la la land de Dartmoor ou la ville de Londres dans laquelle Holmes déambule, la scène est représentée sur un écran pouvant mêler animations ou ombres chinoises. Ainsi la fameuse attaque du chien, toujours difficile à représenter sur une scène de théâtre, est montrée sous forme d’animation commentée avec moult émotion par Watson.
Concernant le jeu des cinq acteurs, on applaudira leur capacité à incarner une multitude de personnages dotés de caractères très différents. Mention spéciale pour l’actrice de la pièce, qui joue aussi bien une Mrs Hudson grabataire qu’une Béryl Stapleton énamourée de Sir Henry, mais aussi une conductrice de fiacre rustique, une Mrs Barrymore envoûtée, une chienne des Baskerville partiellement costumée et une meurtrière sans scrupules. Un talent sur lequel repose finalement toute la pièce et qui permet de défendre avec humour la cause féministe.

Mention spéciale également pour l’acteur jouant à la fois Stapleton, Barrymore, Mortimer et le conducteur d’un fiacre – ainsi que l’une des apparitions de Scream probablement. L’acteur passe d’un Dr Mortimer survolté et très attiré par Watson à un Barrymore façon Famille Addams, apparaissent droit comme un i dans sa tenue de croque-mort dès que son nom est prononcé. Chapeau au comédien !
Holmes, Watson et Sir Henry sont, eux aussi, hauts en couleurs. Watson est ouvertement gay dans ce style Cages aux Folles parfois un peu lourd mais néanmoins assez drôle, Sir Henry est le parfait benêt guidé par ses peurs et ses sentiments, Holmes reste le détective flegmatique que l’on connaît, contrastant au milieu du monde farfelu qui l’entoure, mais dans lequel il peut aussi se fondre joyeusement, notamment lorsqu’il est question de danser sur l’air de La La Land.
On passe en somme un bon moment devant cette pièce, dont le scénario ne cesse de surprendre en allant toujours un cran plus loin dans l’inattendu. Une créativité bienvenue qui, espérons-le, continuera d’assurer le succès de la pièce au cours des prochains mois et d’inspirer d’autres « réadaptations » holmésiennes à l’avenir.