

La Gazette du 221B : Bonjour, pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours holmésien ?

Olivier Mag : Je suis auteur et comédien, pour le cinéma, le théâtre et la télévision. J’ai découvert Sherlock Holmes en voyant l’adaptation du Chien des Baskerville par la Hammer avec Peter Cushing, que j’ai adoré Hammer et qui m’a beaucoup marqué. Je ne sais pas s’il avait le carré blanc, ce film mais c’était presqu’un film d’horreur. On entend la bête sans la voir, comme dans Alien. On ne la voit qu’à la toute fin. Et c’est bien plus terrifiant, c’est toute la force du fantasme.
Quelques années après, quand ma mère m’a emmené au théatre, voir l’adaptation de Raymond Gérôme. Là, ce fut carrément le coup de foudre. J’étais encore un gamin et les décors, la mise en scène, tout m’a emballé. J’ai même eu peur, vraiment peur. Ça a sans doute influencé la conception du théâtre que j’ai développé, c’est la force que j’ai trouvée dans le théâtre vivant.. J’ai envie de voir et donc d’écrire des pièces qui me donnent les mêmes sensations que le cinéma ; c’est ce que j’appelle le « cinéâtre ».
Par ailleurs, je suis un grand fan des parodies de Mel Brooks et de Jerry Lewis. Si je n’avais pas découvert Mel Brooks, j’aurais sans doute écrit une adaptation premier degré du Chien des Baskerville, où les spectateurs auraient eu peur qu’un chien féroce leur saute à la gorge, où des corps sanglants auraient été trainés sur scène.
J’ai vu toutes les adaptations du Chien des Baskerville que j’ai trouvées, mais je suis loin d’avoir lu tout le Canon, je suis plus un « chiendesBaskervilliens » qu’un Holmésien, c’est pourquoi j’ai eu besoin de Gwen pour mettre en scène La Chienne des Baskerville.
Gwen Aduh : Je suis un comédien, auteur et metteur en scène. J’aime les univers loufoques comme celui des deux dernières pièces que j’ai dirigées : Les faux British et Le Gros Diamant du Prince Ludwig.
J’ai « rencontré » Sherlock Holmes aux alentours de 14 ans, à travers un jeu de société qui s’appelle Sherlock Holmes détective conseil. Le joueur se retrouve dans l’ambiance du Londres victorien et mène l’enquête dans la peau des gamins des rues qui aident Holmes à résoudre les affaires criminelles. J’ai adoré cet univers.

Puis, j’ai vu des films, des séries qui m’ont fait mieux connaître le personnage. Enfin, j’ai eu une véritable révélation quand je suis allée visiter le musée Sherlock Holmes, sur Baker Street, à Londres, quand j’ai ressenti la force de ce mélange de réalité et de fiction. Et puis, ces derniers temps, j’ai lu pas mal de pastiches, par exemple ceux de Jean d’Aillon, qui raconte les enquêtes d’un prétendu ancêtre du moyen-âge dont Holmes se serait inspiré, ou Le Mystère Sherlock, de J.M Erre, qui est une parodie très réussie sur les holmésiens. J’aime les détournements et le décalage qu‘ils apportent par rapport aux écrits d’origine.
G221B : Comment est né le projet de La Chienne des Baskerville ?
Olivier : C’est un texte que Hugues Duquesne et moi avions commencé à écrire il y a des années. Au départ, nous avions plus ou moins l’intention de prendre les rôles principaux car forcément, on se projetait dedans en écrivant, mais finalement, seul Hugues joue dans la pièce.
J’en ai parlé à Gwen, que je ne connaissais qu’à travers Les Faux British. C’était un peu une bouteille à la mer, mais il a demandé à lire le texte, et peu de temps après, on commençait à travailler tous ensemble.

Gwen : J ’avais eu la chance, quand j’ai adapté The Play That Goes Wrong ( ndlr : pièce dont Les Faux British est l’adaptation) d’avoir reçu carte blanche de la part des auteurs anglais. J’ai donc introduit plein de clins d’œil dans Les Faux British : Une pièce inédite de Conan Doyle qui part en sucettes, un expert en romans noir qui s’habille en Sherlock Holmes, etc. Forcément, tous les codes étaient déjà présents. C’est sans doute pour ça qu’Olivier m’a envoyé son texte. Au début, j’étais un peu dubitatif, je craignais d’être cantonné à mettre en scène des enquêtes policières…Mais son texte m’a fait rire, et je me suis immédiatement senti à l’aise dans son univers.

Olivier : Ce qui nous réunit également, Gwen et moi, c’est le gout de la parodie, notre amour commun de l’absurde et du burlesque. Avec Hugues, on adore ce genre. On a écrit Ben Hur, la parodie qui a fait un carton et tourné pendant 7 ou 8 ans, et on a plein de personnages dans notre besace autour desquels on veut faire une parodie.
J’ai vu le film Holmes et Watson avec Will Ferrel et John.C. Reilly. Au-delà de notre avis sur le film, on était contents qu’un nouveau film sur Holmes sorte au cinéma, car quand on fait une parodie, il faut que les gens aient les références au personnage d’origine. Il faut que la parodie détourne détruise ces références, et c’est même pour ça qu’on se fait souvent huer par les puristes, parque qu’on est quasi dans le blasphématoire. On peut aller loin, car la parodie est le seul type d’écriture où on ne risque pas d’être attaqué pour plagiat. Il y a une législation particulière par rapport aux droits d’auteur. Ça donne une totale liberté.
Gwen : La comédie sur Sherlock Holmes que je préfère, c’est Elémentaire mon cher… Lock Holmes, avec Michael Caine et Ben Kingsley. Que ce soit Jésus, le père Noël ou Sherlock Holmes rien n’est plus drôle que de bousculer les icônes. C’est vrai que Hugues, Olivier et moi avons des portes d’entrée très différentes sur l’univers de Sherlock Holmes et ça crée tout de suite un décalage et une dynamique. Une bonne parodie consiste à partir de la version officielle et de la faire déraper.
G221B : Et comment s’est passé la collaboration ?
Gwen : Olivier et Hugues, en tant qu’auteur du projet, nous ont laissé une grande liberté, à Miren Pradier, qui est ma co-auteure sur de nombreuses pièce, et à moi pour réécrire certaines choses. Ils nous ont accordé une grande confiance. Il y a eu beaucoup d’échanges sur nos univers, nos savoir-faire, nos envies et la complémentarité s’est créée comme ça, et a fini par apporter un équilibre, ou plutôt un déséquilibre qui amène le rire.
Pour preuve, Olivier n’a toujours pas vu la pièce en répétition. Il s’est refusé, en tant qu’auteur, le droit de mettre son nez dans le travail du metteur en scène. C’est une belle preuve de confiance. Il préfère attendre que la pièce soit bien en place.

Olivier : Hugues, joue dans la pièce… J’ai donc mon espion dans la place. Blague à part, en effet, même quand Hugues me demandait de venir pour apporter mon avis sur certains choix, je n’ai pas voulu. Lui, en tant qu’auteur-acteur, il développait une relation riche avec le metteur en scène, et c’était suffisant.
Gwen : Entre le texte écrit par Olivier et Hugues et ce qu’est devenue la pièce mise en scène, l’œuvre a changé. J’ai hâte d’avoir son retour. On est restés très proches de ce qu’ils ont écrit, mais évidemment, le fait de mettre en scène change énormément de choses
Olivier : C’est une lapalissade de dire ça, mais une œuvre change selon son support. Le roman n’est pas le film, qui n’est pas la série, qui n’est pas la pièce de théâtre. A fortiori, quand on écrit la parodie d’une œuvre existante, le plaisir est de voir ce que les autres en font. SI j’avais voulu conserver ma vision, je n’aurais tout bonnement pas fait appel à Gwen. J’ai monté des projets moi-même, comme la parodie de Ben Hur, mais là, justement, ce qui était intéressant, c’était de « laisser les clefs du camion » et de voir où Gwen nous emmène. Il est arrivé, quand Hugues était dans le doute en tant qu’acteur, qu’il me demande de venir et dire ce que j’en pensais, mais je m’en suis bien gardé car mon avis aurait peut-être été trop écouté. Gwen est un artiste, et en tant que tel, il a des doutes, l’avis des autres lui importe… s’en référer à moi aurait été un frein à sa vision de l’œuvre.
G221B : Aviez-vous, au départ, la même vision des personnages de Holmes et Watson ?
Olivier : pour moi, Holmes, c’est un mec qui traque des psycho-killers, les pires criminels de tous les temps. Sherlock Holmes aurait pu faire face à Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux. C’est un super-héros, il en a le costume : ce chapeau qui pourrait être un casque, cette loupe qu’il dégaine comme une arme, sa pipe pourrait lancer des fléchettes…Mais évidemment, son arme principale, c’est son cerveau, bien sûr.
Gwen : Quant à moi, je le vois aussi comme le grand couillon premier de la classe, un peu chiant mais hyper brillant.
Je pense surtout que Sherlock Holmes se définit par le contraste qu’il forme face à un Watson qui est son opposé. C’est ce que j’ai voulu dans la pièce. Un duo Auguste et clown blanc, un intellectuel et un physique.
Je pense que le Sherlock Holmes qu’on présente dans la pièce est encore une fois un mélange de ces deux visions.
G221B : Et comment s’est constituée la troupe ? Leur avez-vous demandé de lire le roman de Conan Doyle ou de voir les autres adaptations ?

Gwen : Pas vraiment, on choisit des comédiens et des comédiennes parce qu’on sait, ou qu’on sent que ça va coller. Former une troupe, c’est un équilibre à trouver. J’ai rassemblé des comédiens qui avaient joué dans Les Faux British, c’est à dire des gens qui aiment travailler ensemble et qui en ont l’habitude et des artistes avec lesquels je n’avais jamais travaillé. Ce mélange de « vieux briscards » et de nouveaux éléments évitait la tentation d’un ronronnement et apportait une nouvelle dynamique. Au fond, sur la distribution aussi, Il y a eu le même mélange de l’univers de Hugues et Olivier et du mien.

Par ailleurs, j’ai demandé au comédien qui joue Holmes de regardé le film de la Hammer avec Peter Cushing. Je trouve qu’Henri a des traits communs avec Cushing, les deux dégagent un peu la même chose.
G221B : Entre le succès des « Faux British », du « gros diamant » et celui des autres adaptations de Sherlock Holmes sur les scènes de France, ça met la pression ?
Gwen : Certaines personnes vont s’attendre à voir « Les Faux British 2 » or pour moi, le pari c’est de faire quelque chose de différent. Dans Les Faux British, l’enquête policière passe au second plan à un moment, là j’ai voulu rester beaucoup plus proche de l’œuvre originale, de l’enquête menée par Holmes. Même si ça reste la même écriture, et dans une certaine mesure, le même type d’humour que dans mes précédentes pièces, j’espère, et je crois, que La chienne des Baskerville est très différente.
Par ailleurs, c’est vrai qu’il Il y a pas mal de pièces sur Sherlock Holmes, et qui ont du succès, alors je nous souhaite la même chose. J’ai envie que « La chienne » soit jouée le plus longtemps possible, J’aime le long terme… La preuve, pour Les Faux British, je viens de rajouter un gag dans le texte, alors que la pièce tourne depuis 7 ans…Holmes, c’est une telle icone qu’on peut utiliser le personnage de mille manières différentes. Ça a été prouvé au cinéma, à la télévision, maintenant au théâtre.
G221 B : Pourquoi ce twist qui transforme le chien en chienne ?
Gwen et Olivier (en chœur) : Ah non, ça on ne peut vraiment pas vous le dire !
